truth or dare.

le vélo laissé à l’abandon. l’âme en désillusion. en plein milieu de la route. carcasse a pas pu continuer. peine à fonctionner. elle débarque sans crier gare. vient s’imposer dans les lueurs du soir. le ventre se crispe. le mal-être s’y loge sans pouvoir en sortir. l’envie de le vomir. ça sort une fois. puis deux. elle traîne son propre corps sur le bitume. si seulement c’était que la première fois. itinéraire mémorisé par coeur. au cas où elle perd la tête, au cas où il reste le corps. la machine connait la route. en mode automatique. elle avance. lentement, elle avance. vers le sauveur qui n’en était plus un. mais c’est toujours vers lui qu’elle revient (il a pourtant arrêté de lui tendre la main). ça prend des heures. une éternité. trop de forces à rassembler. comme s’il y avait deux êtres à porter. elle se tient devant la porte de garage. tas de ferraille qui lui ressemble. un des deux arrive au moins à tenir encore debout. le poing serré percute le fer. faible. puis crescendo. — nini, c’est moi. l’autre paume se tient le ventre. protège le mal-être qui cherche encore à sortir. — ouvre, j’sais que t’es là. il l’est toujours. voix tremblante d’un esprit qui travaille. le cerveau en demande toujours plus. fait des appels. demande au corps de fonctionner sans essence. ou bien c’est ce qu’elle pense. — j’ai juste besoin d’un dépannage. la blague se glisse même en situation critique. j’ai fait c’que tu m’as dit. ça fait plus d’un mois qu’elle est partie. j’ai été voir ailleurs. vers d’autres horreurs. mais là j’comprends pas, j’étais censée tenir mais ça va pas. m’sens pas bien. l’empreinte du manque en ses mots. manque de lui. manque d’eux. manque des moments heureux. manque de came. l’infâme. — promis, j’te mens pas. elle a pourtant pris une dose il y a une heure à peine. la même erreur injectée dans la veine. — s’te plait, ouvre-moi. elle tape encore. s’impatiente.

automate des dernières heures où il s’enferme dans cette pièce qui empeste la désillusion. souillée par l’huile et les regrets, il y a dans cet endroit l’errance des âmes abjectes. celles bafouée par les ivresses et les chimères chimiques. celles encrassées par la violence d’une vie. se retrouve enfin seul, dans ce silence qui est presque d’or. apaisant. baume sur les marques d’une fatigue qui obstrue ses pores. bouteille entre les doigts, assis dans ce bureau à l’odeur forte d’une misère étouffante. il compte les billets, les recompte. les sépare. il calcule les pilules. arc-en-ciel d’artifices à même le bois, celui qu’il vendra aux plus démunies. parce que l’addiction paie. parce que le désespoir des autres est ce qui lui donne une vie moins imparfaite. jusqu’au bruit sourd qui le fait sursauter. doigts habitués, réflexe que de se poser sur l’arme ancrée à sa poche arrière. mais la voix qui s’élève en musique implorante n’est pas n’importe laquelle. reconnaissance des tonalités. notes éparses, cristallise l’atmosphère. se dirige vers elle, ressent la présence de son être. aux paroles claquantes, hurlant sa détresse. arrive devant la porte, s’arrête à l’écoute du discours décousu. il ferme les paupière, inspire longtemps. vois-tu comme tu es le créateur de sa tourmente? en écho à la culpabilité de l’avoir laissé tomber. sans autre solution. il ne pouvait plus rien pour elle. ouvre la porte, la détaille. incapable de dire mot. s’approche d’elle et lui présente son dos.

un mois. un mois à remplir sa carcasse de vide. un mois à s'injecter des mirages (à faire de son corps un carnage). un mois à bouffer des illusions sans saveur. à alourdir le corps et étouffer le coeur. un mois à errer. ce sont les mêmes habitudes, pourtant. amis, travail, cash. cash, travail, amis. drogue — l'ami pour la vie. ça fait mal. tout fait mal. ça cogne dans la tête, à la gorge, au ventre. la nausée qui monte. le souffle qui s'coupe. les symptômes bien trop familiers. danae, tu perds pied. et c'est sa main qui se tend. toujours la sienne. le corps s'avance, n'hésite pas un seul instant (c'est la détresse qui agit, enclenche les mouvements). les bras entourent son cou, la douleur s'en prend au sien. la sueur coulerait presque de ses mains. — merci... les yeux se ferment, la tête se repose. la douleur tire sur ses traits. — hey, ça fait longtemps. vaine tentative pour détendre l'atmosphère. s'il n'était pas là, elle trainerait à terre. comme s'il ne restait que l'humour pour la rattraper. pour prétendre qu'elle n'était pas qu'une ratée. p'tit rire nerveux entre deux grimaces.

corps à corps en addiction. s’approche, la maintient contre lui. une armure en protection. contre la dérive qu’il lit sur ses traits. comme la misère qui repeint son être. déambule à travers la ferraille qui en a vu d’autres. témoin de scènes insolites, empreinte des vices et de la détresse anarchique. celle-ci pourtant différente, ancrée dans une tristesse qui n’était pas coutume. parce que le coeur se meurt, le coeur se consume. la transporte jusqu’à une voiture inerte. la dépose sur le capot, comme poupée de porcelaine. à se retourner et lui faire fasse. les mains touchent, s’agrippent à son visage. — qu’est-ce que tu as pris? c’est quand la dernière fois que tu t’es shootée? murmure presque inaudible. à moitié pour lui, à moitié pour elle. mais qu’est-ce que tu t’es fait? le corps s’immisce, s’installe entre ses jambes. il réduit la distance pour mieux la détailler. à vouloir lui ouvrir les yeux, douces caresses pour la tenir réveillée. alors que l’organe se crispe dans une peur qu’il a trop souvent connu. vieillie amie qui anime ses veines.

elle se laisse faire. poupée de porcelaine mais poupée cassée. fissures creusent le visage avec le temps. le teint terne, couleur absorbée par l’aiguille pour en injecter une autre. elle sourit encore, pourtant. tant qu’elle le peut encore. elle sourit à pleines dents, elle sourit avec le corps, elle sourit avec les yeux. les seuls qui brillent toujours, comme une veilleuse lors des nuits sans repère. est-ce le déni ou as-tu toujours été ainsi? est-ce la came qui est en train de te bouffer l’âme? les prunelles en appel de phare. percutent les siens tel un malheureux hasard. danae se perd mais danae reviendra toujours. au même endroit, tous les jours. si elle le pouvait. les lumières s’éteignent dans un gémissement de douleur. elle se plie en deux, se casse sur le capot. — y’a…1h les sueurs montent. grosses gouttes s’échouent sur sa peau, la déteignent de plus en plus sur leur passage. tu m’as manqué qui ne veut pas sortir (la douleur l’empêche de le dire). les mains s’agrippent sur ses épaules. le corps s’abandonne sous ses caresses. cherche de la distraction pour s’évader de la détresse.

questions déferlent, questions s’percutent à l’inertie de l’âme devant la sienne. gorgée par les chimères qui la rongent, crépitent en son corps jusque dans la voix. il voit, il comprend. que les veines sont souillées d’un poison inconnu qu’elle a consommé. celui qu’il ne lui a pas vendu, le venin aux allures de fruits défendus. macabre spectacle qui prend forme. d’une impuissance criante parce qu’il ne peut rien faire, ne peut la sauver. elle est droguée à la noirceur de l’humanité. — qui t’as vendu? tu l’as pris où? inquiétude forme les mots, questions harmonisent sa peine. il tente de la maintenir, d’apaiser les souffrances qui la malmènent. à la soulever de nouveau, la prenant dans ses bras. divague jusqu’à une banquette échouée, l’allonge pour que la douleur puisse se calmer. s’éloigne quelques instants, quelques secondes pour lui prendre de l’eau. de gestes qu’il connait par coeur. habitué à être l’auditoire de l’horreur. et lui revenir, source de pureté poser à ses lèvres. source de fraîcheur pour combattre sa fièvre. — je suis là, ça va bien aller. il est trop tard, nix. il ne fallait pas la laisser tomber. s’assied à côté d’elle, au rebord de la banquette. à la surplomber de sa hauteur, la vue n’est plus aussi parfaite.

la tête tourne, les songes s'enchainent et s'emmêlent entre eux. un sac de noeuds. elle tente de se ressasser les évènements qui l'ont emmenée jusqu'au présent. ça s'embrume d'un coup, percute la tête qui tombe sur son épaule. le front repose au creux du cou, souffrance ravalée à petites gorgées. car s'il t'a lâchée c'est parce que t'en as trop demandé. elle ravale la douleur, ravale la salive. ravale tellement qu'elle ne sait plus rien dire. elle ravale chaque pensée, chaque mot. ravale tout pour qu'il n'en ait plus à porter sur le dos. ravale l'habitude; de la porter elle. temps d'réponse au ralenti. tu sais plus où t'es, avec qui. un instant avant de reprendre ses esprits. et la nausée qui remonte comme la marée. — un gars...à mas. les paroles sont réduites. économie d'énergie les lumières sont toujours éteintes. la carcasse s'élève sans qu'elle l'ait demandé. elle ne se sent pas légère pour autant. y'a tout qui pèse; et tout est trop lourd. un poids sur l'estomac et ça monte jusqu'à la tête. ça passe par le coeur, là où ça appuie le plus fort. ça pèse sur tout le corps. la culpabilité. parce que vos ressentis ont toujours été réciproques. — hey you... un sourire entre deux gorgées d'eau et deux secousses douloureuses (ça tape en plein le bide). elle sait que ça va bien aller. tout va bien quand il est à côté. — tu peux me donner quelque chose pour me calmer?

sentiment d’urgence étrangle, le corps en alerte. tendu face aux images qui s’impriment dans la rétine. s’imprègnent dans l’esprit. filament de souvenir qui marquera l’histoire, le tournant auxquels ils ne s’attendent pas. qu’une croisée des chemins pour le choix qu’il doit faire. soulager par les artifices qu’il poserait sur sa langue; docteur-escroc qui connaît la posologie des maux. apaiser par le manque, à forcer une délivrance qu’elle n’a pas demandé. elle préfère l’addiction plutôt que la réalité. de secondes qui s’effritent, se défilent à une vitesse qui donne la nausée. la regarde, la détaille. s’imagine un futur selon son choix. et si je te came, me reviendras-tu? caresse à nouveau, replace les mèches qui colle à sa peau. sourire en miroir au sien, qu’un silence qui plane pour faire du bien. — non, je n’ai rien p'tite tête, si tu prends autre chose, tu crèves. et j’suis pas prêt à te laisser m’quitter. rapproche l’eau à ses lèvres, sa voix se confond dans les décibels. bois encore, dana, ça va aider à faire passer l’mal. j’suis là, j’te quitte pas. t’auras une sale nuit, mais tu ne seras pas seule. sentence tombe, le choix claironne. sans en donner les détails, les fines lignes d’un contrat qu’elle signe à l’aveugle. il ment, façonne la vérité.

échouée sur la banquette, surplombés par le plafond qui semble infini. on pourrait y peindre mille et une histoires. refaire le monde sur ce ciment humide. les lumières se rallument pour tenter de le fixer. y graver des récits avec une fin heureuse. ou des récits sans fin. elle tente d’y trouver un point d’ancrage parmi les moisissures. il y en a aucun. elle cherche sa main. l’autre occupée à abreuver son corps empoisonné. le sourire toujours suspendu aux lèvres. à s’demander ce qui le tient encore intact. l’eau ruisselle sur les commissures. les gouttes se forment aussi au coin des yeux. même les phares sont cassés. est-ce que ça aussi, nixon peut le réparer? les paumes se lient, s’emmêlent comme ses pensées. un bordel sans nom. elle serre de plus en plus fort, elle a trouvé son point d’ancrage. — fuck, comment tu sais? nix sait tout. il a toujours les mots qu’il faut. il a toujours la solution. alors sait-il que tu es son poison? un fléau, une malédiction. impossible à s’en débarrasser. danae, t’es pire qu’une addiction. — j’ai trop envie de gerber, tout le temps. trop épuisée pour réclamer. trop malade pour insister. elle serre sa main à chaque parole. comme un battement de cœur; comme pour montrer qu’il ne s’arrêtera pas. rythme continu au gré de sa voix. moi aussi, je suis encore là. — nini… avoue, tu regrettes qu’on s’est rencontrés. ça aurait été plus simple pour tout le monde si j’avais pas existé. l’autre paume se dépose sur l’erreur le ventre. la douleur semble avoir un coeur, à battre la cadence sans arrêt.

regret. si elle savait que les regrets qui le possèdent ne sont pas ceux qu’elle croit. à regretter la cassure, fossé entre eux depuis des semaines. à regretter les choix, l’avenir qu’il trace à vendre aux âmes en peine. les mains souillées par la misère des autres, à regretter de faire partie du rouage malsain. il regrette, de ne pas leur donner une autre vie, ne pas réussir tel un fils prodige. il regrette, de ne pas être assez. pas assez fort, pas assez bien. pour remplacer ce fantôme qui la hante, l’apaiser d’une tourmente qui suit ses pas. une ombre qu’ils ne nomment plus pour ne pas la blesser. l’être perdu par trop de chimères damnées. mais il ne la regrette pas, elle. ne regrette pas les rires, les parties de cartes sur cette table de fortune. il ne regrette pas les joies, les éclats en brillance aux coins des iris lorsqu’ils se regardent. parlent plus que leurs propres maux mots. à savoir, sans se l’avouer. à faire genre, de faux semblants en parure. parce que la dorure d’un déni leur sied à merveille. danae, jamais tu ne seras un regret. sans en prononcer le moindre son, collés à la langue. en rature à la gorge. brûle les syllabes dans un silence sonore. il la regarde, touche sa peau en frôlements doucereux. plus délicat que précieux. — je vais te reconduire chez toi. tu seras mieux dans ton lit, d’accord?

le silence semble plus long qu’il en a l’air. et l’air semble plus pesant dans l’atmosphère. danae erre entre les deux. entre ce qui existe et ce qui n’existe pas. entre la réalité et ses mauvais choix. elle erre dans l’inconnu, elle erre dans l’insouciance (perdue dans les tréfonds de son existence). elle erre sans jamais savoir où aller. sauf dans ce garage qui semble jamais fermé. elle erre dans ses songes. elle ne préfère pas penser (elle préfère oublier). et s’il y avait quelque chose à retenir, ce serait cette histoire qui suspend toujours son sourire. ce serait celle qu’elle dessinerait entre les moisissures de ce plafond sans fin. méandres obscurs accompagnés de quelques nuances de couleur. finalement, c’est leur reflet qu’elle fixe depuis tout à l’heure. alors que le corps s’évapore sous la sueur. — t’as pas…rép… grimace de douleur. poupée se brise de nouveau. elle en perd ses mots. les vomit à même le sol. vomit tous leurs regrets par la même occasion. si seulement ça marchait de cette façon. — pas bouger. faites que le temps cesse. que l’espace s’arrête. quelques secondes d’éternité. les mains s’agrippent à lui. c’est maintenant les corps qui se lient. et entre eux, l’erreur. — faut…go hosto.

réponse tarde, silence perdure. préserve la réponse comme joyau. trop précieuse pour la bafouer, prendre ce risque qu’elle ne l’oublie une fois la tempête passée. préfère l’orage, pour une fois. laisse la pluie s’abattre. sur eux. comme voile en infime espoir sur leur être. où l’après n’est qu’astre solaire. chaleur qui la bercera, la ramènera à lui. il se mure dans ce silence parce que les mots ne suffisent plus. ne sont plus que perte d’énergie, perte de temps. d’une urgence d’agir, de faire quelque chose. ça en tend ses membres, picotements au bout des doigts. sans plus attendre la suite, se lève. ignore l’étang d’amertume à ses pieds. la prend à nouveau dans ses bras et la colle contre sa cage tiraillée par un palpitant en déroute. étranglé par la peur tenace. mais il la serre, la tient comme si sa propre vie en dépendait. je t’échapperai jamais, danae, je te promets. l’allonge sur la banquette arrière de sa voiture, boucle la ceinture comme il peut. il se met derrière le volant, regard lancé vers le corps dont la vie semble s’effriter. les rues qui ne sont qu’un long chemin vers une délivrance en mirage. oasis d’éphémérité, le désert en parure d’éternité. d’une solitude criante, à l’impuissance poignante. sais-tu ce que tu fais, nix? gamin en hurlerait par la négation. reviendrait en arrière. l’injecterait lui-même s’il le fallait. — on est bientôt là, tiens bon dana.

les gémissements résonnent dans le tas de ferraille. la carcasse déraille; s’écroule sous les tremblements. les briques ne tiennent plus. où est le plafond de ciment? danae, t’es foutue. y’a la vie qui continue à travers les fenêtres. le monde qui n’a pas cessé de tourner alors qu’elle se vide de son être. personne ne l’attend, dehors. peut-être la mort. elle ignore si la banquette est froide ou si son corps entier l’est. épuisement l’achève. unique lumière s’allume pour croiser la sienne. les prunelles se croisent pour se quitter aussitôt. histoire de se rassurer sans un mot. les phares s’éteignent, silence règne. sa voix qui s’élève ensuite dans le refuge. semblant d’accalmie au milieu du déluge.

tiens bon, dana.
et tu lui aurais répondu, « sinon quoi? »

sourire aux lèvres, accrochée à son bras
comme à chaque fois.

blanc néon. croix rouge imposante. couleurs criardes à en éclater les rétines. en réveilleraient même les morts (mais danae, t’y es pas encore). elle plonge la main dans le néant, en recherche de chaleur. sueurs froides à lui glacer le sang. absence qui lui briserait le cœur. — nini…? t’es là?

paysage s’embrume en l’esprit, à ne plus le voir. ne remarque pas les détails. symphonies de klaxons en insultes à sa témérité. l’attention vers l’arrière, regard collé au rétroviseur. l’image est captivante de terreur. à s’assurer qu’elle va bien, qu’elle vogue uniquement sur la mer des vices, sans en être submergée. qu’elle ne dérive, s’engloutisse dans les eaux agitées de sa tourmente. de dangers qui les entourent, mais il ne regarde qu’elle. prêt à s’arrêter, la sauver des tumultes qui la font trembler. jusqu’à arriver à bon port, infime espoir qu’elle ira mieux. il s’arrête, aucun souvenir de la route qui ne lui revienne. — je suis là. on est arrivé. je vais te prendre dans mes bras, t’éviter de marcher. à lui revenir, la soulever avec facilité. parce qu’elle ne pèse plus rien. le venin la bouffe, la ronge. ne reste d’elle qu’une carcasse vide, inerte. à passer les portes vitrée de cet endroit où les gens quittent plus ne plus revenir.  

mais tu ne seras pas de ceux-là, dana.

et ils repartiront, encore ignares qu’ils seront trois.

arrête la première infirmière qu’il aperçoit, crainte teinte la voix. l’essouffle, bourdonne dans sa gorge. — elle… je crois qu’elle fait une overdose, faut l’aider. svp, ne la laisser pas crever. personnel s’interpose, s’immisce. vous sépare depuis la première fois. corps s’étale sur une civière, squelette bouge, veut suivre, mais on l’arrête. n’est pas famille, n’est pas amant. seulement un ami, un quasi inconnu.

néons percutent les opales pour les éteindre instantanément. engloutie par le gouffre blanc. tout va trop vite, les symptômes défilent aussi vite que les individus. vertiges, nausées, pâleur. il est quelle heure? il n’y a plus de moisissures au plafond. il a été nettoyé, purifié. les lampes défilent trop rapidement pour le fixer. comme des appels de phare permanent qui l’empêchent d’ouvrir les yeux pour le retrouver. est-ce la faucheuse venue te chercher? perfusion accrochée au bras, électrodes aux quatre membres. emprisonnée seule dans une chambre. va-et-vient de fantômes habillés de blanc. c’est incessant. son esprit est parti, lui aussi. mais sa main part toujours à sa recherche. nix, t’es là? j’peux passer au garage? les aiguilles ne font pas mal. la peau a été anesthésiée depuis longtemps. endormie par ces addictions qui ne veulent pas la lâcher. elle ne sent plus rien. le corps vide. — mais le coeur bat encore bien. mots s’évaporent parmi toutes ces voix qui se ressemblent.

pas une seule n’est la sienne.

les pas hésitants s’avancent vers l’âme perdue qui erre dans le couloir. le manque d’expérience sème dans sa démarche un champ d’erreurs. — vous êtes le mari de madame kalani? n’attend pas la réponse avant de sceller leur sentence. — félicitations, elle est enceinte! un sourire aux lèvres à l’annonce de la bonne mauvaise nouvelle. l’incompétent s’en va, appelé par les infirmières croulant sous le poids de leurs tâches. il n’y a que des urgences.

l’attente. longue, interminable. de secondes en heures. de minutes en éternité. cent pas foulent, frôlent, percutent. à s’en ronger les doigts, les bras, le corps tout entier. peur panique, peur démente. et si c’est aussi long, c’est qu’elle y est passé. et si on ne vient pas me voir, c’est pour me préserver. à regarder chaque personne passer devant lui, les toiser. à se sentir invisible, l’élément en trop. une nuisance. savent-ils que tu es l’auteur de sa tourmente? attendre, encore. l’organe à l’agoni sous son rythme. à l’entendre battre dans ses tempes, ressentir chaque coup sa cage thoracique. la culpabilité grimpante, collante. à même la peau. à même le sang. poison dans les veines qui l’étouffe, en bouche chaque pore. à ne plus savoir respirer convenablement.

où est-elle?

j’avais promis que je serais là pour elle.

âme s’approche enfin. s’attend à la sentence, au pire. les phrases défilent que ça en est incompréhensible. à se répéter les mots dans l’ordre, le désordre. ne font aucun sens. s’emmêlent et s’entrechoquent. pourquoi sourit-il? pourquoi on me félicite? n’a pas le temps de prononcer le moindre son, les réponses bloqués à même la trachée. — est-ce que… est-ce que j’peux la voir? mais il est trop tard, l’âme s’est envolée. il est à nouveau seul, la question en écho. vibre contre les murs pour l’assommer. tout tangue. vertigineuse ascension vers elle. il passe la porte et l’observe.


s’avance, reprend sa main. capte le regard sans que le sien ne soit serein. — t’es enceinte. fauche les retrouvailles. bâcle les questions. s’écrit entre eux l’histoire de leurs erreurs.

le plafond est nu. on peut toujours y peindre mille et une histoires. elle n’en a aucune qui lui vient à l’esprit. le blanc a l’air tellement sale. c’est l’odeur du désespoir des milliers passés avant elle. ceux qui y ont laissé leur vie ou qui sont sortis en y laissant une partie. elle ne veut penser à rien. ne voir personne, ne parler à personne. qu’il n’y ait que le silence qui résonne. ou sa présence en personne. les symptômes se sont enfin apaisés, le corps éreinté par les multiples substances qu’on lui injecte dans tous les sens. elle devrait être habituée; elle ne l’est pas. elle est habituée à l’aiguille qui passe, la substance qui réchauffe et l’effet immédiat. elle n’est pas habituée à ces aiguilles froides qui lui mordent la chaire. l’impression que son sang est aspiré (c’est le cas). l’impression qu’il n’y a plus rien à vider (c’est le cas). multiples essais car toutes ses veines sont éclatées. et cette pointe qui reste logée dans sa main pour lui rappeler qu’elle ne peut plus bouger. il n’y a plus qu’une main de libre. quelqu’un est venu l’emprisonner. — hey you… à demi-mot. le sourire s’acharne à rester en vie. s’accroche aux lèvres comme si c’était le dernier recours. avant de lâcher prise et entamer la chute libre; percutant le gouffre de l’effroi. — …hein? le visage prend la même couleur que les murs. les nausées reprennent au fur et à mesure. elle ne comprend pas. l’ampleur de ses erreurs, la stupidité de ses choix. elle ne comprend pas ce qu’ils font là. elle ne sait pas qu’il est de toi. — non… impossible que danae soit enceinte. impossible qu’une telle chose arrive. danae sait ce qu’elle fait. danae trouve toujours une solution. danae s’échappe toujours à chaque situation. danae gère. danae fond en larmes en fixant le plafond.

tout s’écroule en fragilité. tout s’affaisse, tout se qu’ils avaient tenté de réparer. mais les blessures sont plus profondes, ancrées dans la chair. encore vives, ensanglantées. il n’y a rien qu’il puisse faire pour les panser. elles sont rouges, elles sont béantes. aucune tentative pour la faire sourire, pour calmer l’hémorragie de leurs bêtises. ne peut qu’être là comme promis. ne peut que lui prendre la main, la serrer avec force. avec avidité. d’prendre le mal qu’il voit naître sur ses traits. aux perles brillantes qui barbouillent son faciès. l’émotion l’étrangle, l’étouffe. qu’a-t-on fait de l’air de cette pièce? il déglutit. emprisonne ses propres larmes à la lisière de ses paupières. comme s’il savait. il sait. — le médecin, il est venu, il a dit… s’arrête, inspire. longuement, lentement. l’observe. la main libre qui la frôle en caresses. sèche les joues devenues cascades. l’aquarelle des peines qu’il tente d’effacer avec ses doigts. — est-ce que je dois contacter quelqu’un? est-ce que tu as… vu quelqu’un depuis mon anniversaire? les murmures saccadés, n’ose à peine. ne veut pas prétendre, ne pas sous-entendre ce qu’elle n’est pas. à l’inquiétude éclatée. il demande pour mieux sombrer. se faire mal. poser les termes. il doit savoir.

les larmes regorgent de souvenirs. comme pour tenter de s’en débarrasser. d’extérioriser les démons qui continuent de la hanter. pleurer, c’est comme se droguer. ça fait oublier les mauvaises pensées à travers quelques millilitres. le liquide s’injecte et se pleure ensuite. il y a le regard déçu des parents. leur désespoir, leur énervement. la peur dans les yeux de sa sœur. les échecs à répétition. mauvaise élève, mauvaise fille, mauvaise sœur. mauvaise herbe. tout ce qu’elle ne pouvait pas comprendre avant mais qui est trop tard aujourd’hui. trop tard pour retourner en arrière. trop tard pour dire pardon. trop tard pour recommencer. trop tard pour effacer. trop tard pour dire stop. les erreurs, trop d’erreurs. ne pas continuer ce jeu. ne pas dire vérité. ne pas dire action. ne pas s’approcher. ne pas frotter leurs nez. ne pas avoir apprécié. ne pas avoir continué. ne pas l’avoir suivi. ne pas avoir succombé. ne pas avoir eu le plus grand sourire de sa vie. ne pas l’avoir aimé. et dans le néant du plafond, les larmes s’échouent. elles se sèchent peu à peu le temps de déverser les souvenirs. elle ne sait pas s’ils sont bons ou mauvais. comment savoir lorsque le paradis finit par être l’enfer? elle secoue la tête. pour dire non, ou pour se débarrasser des derniers souvenirs qui restent. — ça a pas été aussi loin. trop éclatée par le chagrin. la came la paralysait trop pour qu’elle puisse faire quoi que ce soit. que des baisers, que des caresses. mais surtout parce qu’il était toujours dans sa tête. — j’ai personne. tout le monde m’abandonne. la paume se serre autour de la sienne. pas d’appels de phare, mais un appel à l’aide. ses lumières sont cassées. comme tout le reste. apparemment, il n’y a que le coeur qui reste intact. les paupières se ferment; elles non plus ne veulent pas de la vérité.

il voit l’avenir se teinter de couleurs nouvelles. s’infiltre dans leur futur l’encre noire des erreurs commises. noirceur indélébile qu’ils ne pourront effacer. alors que la clarté tentait de se frayer un chemin, à se sortir la tête de la grisaille, du terne paumé qui dessinait les dernières années. gris bitume, gris gratte-ciel. au vert des billets qui franchissaient ses doigts, payaient convenablement le loyer. avait de quoi payer quelques extravagances. à en admirer le bleu du ciel, sans gris nuage, gris orage. noir tempête. que d’orange et de rose au couché de soleil. quand la lumière s’éclipsait sur une nouvelle nuit où il pourrait continuer à faire vivre ceux qu’il aime. aux rouges de ses joues et de son front, perlés par la sueur des efforts qu’il fournit sans cesse, sans relâche. sans le gris des larmes sales, au teint malade. au violet de ses habits, extraverti à ses heures, quand le sourire rosé se dessinait encore ( à sa vue, à leurs discussions jusqu'à l'aurore ). arc-en-ciel d’émotions, de passion et de bonheur. malgré tout. disparaissant sous le noir de l’annonce. obscurité cinglante. sanglante. au silence lourd, sonore. emplie la pièce. poigne se resserre contre sa main, à ne plus savoir qui soutient l’autre. ils chutent. tombent dans les abysses, le néant sous leurs pieds. de cette nuit de fête, aux paillettes d’or et vermeil, est né le sombre, l’ombre sur leurs têtes. les pensées en brouillard, le crâne fracassé par les réflexions incessantes. il inspire, expire. il prend un temps terriblement long. par le coeur égorgé, fissuré. l’avenir se peint en trois teintes. une nouvelle qui s’agite, s’ajoute aux deux primaires. lui et elle. et leur misère. — je… déglutit, s’étouffe avec sa propre salive. je serai là. quoi que tu décides, je serai là. j’assumerai.

elle a fait tellement d’erreurs qu’elle en est probablement devenue une. le genre d’erreur qui ne fait pas du bien. le genre d’erreur qu’on essaie tant de fois d’effacer, en vain. on dit que c’est à force de répéter qu’on apprend. danae, qu’as-tu appris? rien. néant. l’erreur finit avec un enfant. l’enfant finit avec une erreur. le plafond n’offrira pas de réponses. il ne contiendra pas non plus d’histoires. qu’un mouchoir blanc pour éponger ses émotions. les siennes ont perdu de leurs couleurs. les phares sont toujours éteints. les yeux sont toujours cassés (le bleu s’en est allé). le moteur ne réagit pas. véhicule sans voix. y’a que le corps qui parle, chaleur de sa paume pour montrer qu’elle est toujours là. chez elle, c’est toujours le corps qui parle. il a parlé pour lui dire qu’il n’y avait aucun regret. il a parlé pour lui dire que c’est avec nix qu’il se sentait le mieux. avec nix qu’il se sentait heureux. son corps sourit à sa voix, à son regard, à ses touchers. son corps sourit à sa présence. son corps n’a pas parlé d’erreur. il ne fait que pleurer son absence. — je sais pas… danae brisée; danae perdue. voie sans issue. danae se perd dans ses yeux. il n’y a qu’un semblant de réponse. elle ne sait pas trouver la bonne. finalement, elle ne sait pas se débrouiller seule. les phares clignotent, se referment de nouveau. mélange d’émotions lui enlève les mots. ils ne tiennent qu’à une paume et un regard. silence de plomb. — il doit y avoir une erreur…? hein,...nini?

erreur. unique mot, deux syllabes. si simple, presque banal. lourd de sens, frappe. il fait mal, à même l’organe déjà en apnée. le mot percute, écrase. lui en broie les os de sa cage. il doit y avoir une erreur… l’étiquette qu’il porte, l’élément en trop. lui qui s’est immiscé, introduit dans sa vie sans l’aider. tu as échoué, nix. a été le poison dans ses veines, l’addiction mortelle. l’a conduite tout près du précipice et l’a poussé. ce poids en plus qui l’a fait tomber. il est l’erreur. celle sans retour en arrière. sans possibilité de la résoudre. mais il n’y a pas d’erreur, le diagnostic est le bon. une partie de lui en elle. il y a eux, cette nuit d’errance en son creux. la main se desserre, les doigts tremblent. où est-ce ta voix que tu entends? la lâche, brise le contact. recule au fond de sa chaise, les opales noyées qui divaguent pour ne plus la voir aussi brisée. tête dégringole, s’écrase le sol. — il n’y a pas d’erreur, dada. t’es enceinte. de moi. les paroles cassent, s’coupent à chaque lettres sous les larmes. les essuie avec une force amère.

t’as échoué.

— je suis désolé, dada. j’aurais pas dû. même si j’en avais envie, j’aurais pas dû. et j’aurais pas dû partir. tout ça, c’ma faute. redevient gamin, les responsabilités ayant eu raison de son courage. ne reste rien de l’homme.

la vérité vient se loger au fond des tympans. c'est lourd, assourdissant. on dirait qu'il faut lui répéter avec des mots simples pour qu'elle comprenne. neurones grillés par ce qu'elle s'injecte au fond des veines. il faut répéter, redire, presque hurler. que ça rentre sans que ça ne ressorte. t'as déjà ouvert toutes les portes. aucune ne semble l'intéresser. elle préfère le confort de ses vices. y rester. ne pas bouger. c'est l'inconnu qui semble l'effrayer. danae ne sait pas décider. ni pour les autres, ni pour elle. encore moins pour elle. elle le regarde, tente de trouver une réponse au creux de ses iris. parce que nini a toujours la réponse à tout. nini répare tous ses mauvais coups. nini est toujours là. nini n'est jamais parti.

nini est parti.

il n'y a rien dans ses yeux verts. que les vestiges de leur erreur. elle s'y accroche quand même, à bout de bras. elle s'y accroche parce qu'il n'y a rien d'autre que ses yeux et sa paume. garder le contact pour ne pas s'échouer plus loin qu'elle ne l'est déjà. danae aussi, est partie. personne ne l'a jamais retrouvée. portée disparue. elle a abandonné les recherches. — pas ta faute. elle a arrêté de regarder le plafond. elle a compris qu'elle n'y trouverait aucune réponse. elle a arrêté de regarder nix. elle a compris qu'elle n'y trouverait aucune réponse. elle regarde leurs mains. entrelacés. dernier rempart à la guerre qu'il mène à leur misère. elle serre. elle serre si fort qu'elle en extirpe ses propres larmes. — pars pas... reste avec moi.

n’écoute qu’à moitié, la tête emplie par les noirceurs qu’il veut s’infliger. son monde qu’il porte sur ses épaules, toutes ses âmes qu’il tente de sauver. elles sont en fantôme derrière lui pour lui répéter que ce n’est qu'un raté. danae, clay, nova… rien qu’il n’a fait qui n’a changé les choses. toujours dans les emmerdes, ces galères funèbres qui leur colle à la peau. toujours aussi paumés, crevant sous la misère dans laquelle ils continuent de s’enfoncer. il n’y rien, rien qu’il puisse faire.


le regard qu’il fuit, incapable de la regarder. se refuse de voir de ce qu’il se trame dans ses opales. d’un déni criant pour ne pas remarquer les larmes. et pourtant elles y sont. sur leurs deux visages. leurs traits barbouillés par le désespoir. — bien sûr que c’est ma faute. c’est moi qui ai… ce putain de gage. c’est moi qui t’ai embrassé. t’as rien demandé, dada. t’as pas… tu ne voulais pas de moi. les doigts lâchent prise, quitte la main pour retrouver sa carcasse au fond de la chaise. il ne quitte pas, il ne peut le faire. se contente de prendre de la distance, tente de respirer. le coeur se débat, qu’il ne peut plus penser. — on ne peut pas devenir parents, on sait à peine s’occuper de nous-mêmes. réflexion qui s’élève. en murmure, presque inaudible à l’oreille. t’as failli mourir dada, t’as failli n’plus être là. discours confus, en perd son sens.

la main s’est mise à errer dans le vide. abandonnée. forcée à confronter la réalité. elle ne peut toujours pas regarder le plafond. elle n’y trouvera pas plus de réponse qu’il y a quelques secondes. elle le regarde, lui. elle regarde sa détresse droit dans les yeux. il ne la regarde pas. elle ne lui en veut pas. ça doit être les médicaments. ça fait tout disparaître instantanément. la rancoeur, les malheurs, les sensations, les émotions. même les pensées. mais pas la réalité. jamais la réalité. les larmes continuent de couler. ça non plus, elle n’arrive plus à les contrôler. plus rien. rien du tout. ça fait longtemps qu’elle ne tient plus le coup. alors, elle cherche sa main. sa paume bouscule l’air pour s’y frayer un chemin. le retrouver. retrouver sa chaleur. retrouver sa présence. elle a l’impression que nix n’est plus là. elle tente de le retrouver par ses propres moyens. — tu regrettes alors…? la voix se brise à chaque mot (la voix se brise en crescendo). elle peine à avaler. elle peine à le regarder. tout est flou (tout est fou). — on jouait… (un sanglot) c’était un jeu…(à demi-mot) c’était qu’un jeu… (un souffle) on jouait à deux. sa main a abandonné les recherches. à la place, elle vient essuyer sa propre détresse. les vagues de sa peine. —  j’regrette rien, moi, nini… on l’entend à peine. — mais j’voulais pas crever. j’voulais pas. j’ai pas fait exprès.

est-ce que c’est vrai?